RECONSTRUIRE LA FRANCE
Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /opt/web/clients/m/modem/lesdemocrates.fr/public_html/wordpress_lesdemocrates.fr/wp-content/plugins/custom-fiche-elu/inc/template-ficheelu.php on line 443
« La vérité est la clé de toute politique de réformes »
22 septembre 2014
Découvrez le discours de François Bayrou, prononcé le 21 septembre 2014 à Guidel, en clôture de notre université de rentrée.
« Mes chers amis,
Je suis très heureux de vous retrouver ce matin, très heureux de succéder à la tribune à Antoine Carette, président des Jeunes Démocrates, qui a très bien parlé et très bien agi. Mon premier remerciement va aux jeunes, aux nouveaux conseillers municipaux, aux animateurs de notre mouvement dans les départements, présents à Guidel, comme à tous ceux qui nous regardent à la télévision et sur notre site, les adjoints, les maires, les conseillers généraux et régionaux, les députés, les sénateurs, les députés européens. Je veux dire ici aussi, à quel point Marielle de Sarnez a joué dans tout cela un rôle remarquable. Sans sa volonté, son énergie, son savoir-faire, à peu près inébranlable, redoutable, sans tout cela notre mouvement ne serait pas arrivé là où nous en sommes. Je voudrais lui dire, au titre du mouvement et à titre personnel, notre gratitude et notre affection. Ma gratitude aussi à Marc Fesneau pour l’organisation et l’animation de nos journées.
Je suis très heureux de cette université de rentrée. Tout au long de ces trois jours, je me disais que je ne connais pas un mouvement en France, aujourd’hui, qui consacre ses rencontres, non pas à des manœuvres des uns contre les autres, non pas à des visions adverses et aux surenchères, aux pièges des uns contre les autres, mais au contraire à la réflexion de fond, à l’échange, franc et digne. Notre mouvement politique s’intéresse à l’essentiel, il a fait de cette authenticité son engagement, sa marque de fabrique, son ADN et je suis heureux que ces trois jours aient permis à tout le monde de le vérifier. Evidemment un mot aux intervenants, nombreux, passionnés, qui ont découvert que leur réflexion, leur expérience pouvaient mobiliser un mouvement, et pas seulement au niveau politicien. On peut avoir un mouvement civique, engagé, citoyen, et pas seulement un mouvement qui s’intéresse à ses intérêts partisans, mais qui s’intéresse à l’intérêt général, et celui-ci, nous l’avons bien servi durant ces trois jours. Je suis persuadé que vous, qui êtes venus de loin, en faisant des sacrifices, l’avez senti. Il faut que l’on sache qu’ici, tout le monde assume sa part de la charge ; nous sommes un mouvement qui n’a pas beaucoup de moyens financiers, et qui cependant réussi à organiser des événements remarquables grâce à l’engagement de vous toutes et tous car vous êtes membres mais également citoyens de notre mouvement. Merci beaucoup.
L’inventaire que nous avons fait sur beaucoup de points a démontré à quel point notre pays était atteint dans ses équilibres économiques, financiers et sociaux, politiques et moraux, et que, chaque jour l’actualité apportait une menace nouvelle contre ces équilibres, singulièrement moraux. Un pays dont je veux rappeler qu’il était, au début des années 2000, c’est-à-dire hier, très loin devant l’Allemagne, qu’il apparaissait comme le pilier de l’Europe, alors que l’Allemagne, disait-on à l’époque, ironie des changements, apparaissait comme « l’homme malade ». Et puis, il suffit de voir en 12 ou 15 ans l’évolution des choses, et je pense qu’il est important que nous nous interrogions sur la raison de cette dérive.
Il y a bien des raisons importantes, mais la raison principale c’est que dans notre pays, les dirigeants ont refusé de voir la vérité. C’est la vérité qui a manqué – le dernier livre que j’ai écrit s’appelle De la vérité en politique – ; or, dans les temps où nous entrons, il est impossible de conduire une politique de lucidité et une politique de changements profonds, de reconstruction, si la vérité n’est pas l’article premier du contrat que l’on doit nouer avec les citoyens. Cette vérité a été trahie, dissimulée, le devoir de vérité a été abandonné, pas depuis 2012, pas même depuis 2007, mais depuis de très longues années. J’ai été extrêmement frappé d’une phrase que Manuel Valls a prononcée dans son discours de politique générale, sans que personne ne s’y arrête. Il a dit : « La France n’a pas créé un seul emploi industriel depuis 2001 », et je trouve que nous serions très avisés de nous demander pourquoi cette date de 2001, tournant du siècle, a marqué ainsi le coup d’arrêt brutal, et d’une certaine manière la dérive et le dérapage de la France. Je pense que, dans ces années du début du XXIe siècle, il y a eu un grand nombre de décisions et plus encore un grand nombre de non-décisions qui ont porté atteinte à l’élan vital du pays. Nous l’avons dit à l’époque : la décision des 35 heures a été une très mauvaise décision, parce qu’elle a changé une idée que la société française dans ses profondeurs, dans les familles, les communautés, pour ceux du secteur privé comme du secteur public, se font du travail, un travail désormais considéré, regardé, comme étant au fond une activité dont il convient de se libérer le plus possible pour vivre. C’est ça l’idée des 35h. C’est une idée que l’on retrouve dans les réflexions depuis longtemps. Cela correspond à une très vieille réalité psychologique. Je dois rappeler que le mot « travail », en béarnais « tribay», était en latin « tripalium », qui veut dire supplice, et même supplice du pal, et donc le travail considéré comme un supplice.
Mais je veux dire aussi qu’il y a des millions de français, des dizaines de millions de français, qui pensent que le travail n’est pas un supplice, ni une domination, ni une sujétion, mais une émancipation. C’est un débat de fond. Il y a des gens qui pensent que travailler 32h ce serait mieux que 35, et puis un jour 28. Ce sont des esprits estimables – je ne fais pas de ce sujet une querelle secondaire – mais je pense que la réhabilitation du travail comme émancipation, comme une chance de se réaliser fait partie des urgences que nous avons à porter aujourd’hui. Il y a des années que cela dérive et que cela se dégrade. Je ne crois pas qu’il soit totalement juste de dire que c’est François Hollande et le gouvernement actuel qui porte la responsabilité pleine et entière de la situation dans laquelle nous sommes, mais ils possèdent une part de responsabilité, très importante, et qui sera mise naturellement à leur débit lorsque l’on fera le bilan des 5 années qui se sont écoulées. Cette responsabilité, c’est de n’avoir pas vu, ni analysé, ni pu proposer une voie pour sortir des dérives dans lesquelles nous étions, et d’avoir entretenu au contraire l’illusion, par un contrat absurde, qu’il suffisait de changer les gouvernants pour que les choses s’arrangent. Rassurez-vous, ce scénario nous allons le retrouver devant nous. Et je veux rappeler que cette dérive est issue de la dette que nous accumulons depuis des années. Dieu sait que j’ai mené le combat sur ce sujet, avec vous, et parfois tout seul, parfois seul contre tous, depuis 15 années, en voyant venir le mur de la dette et en proposant aux Français de se ressaisir et de sortir de cette fatalité muette, si menaçante qu’elle devenait presque une certitude d’accident. Le déficit moyen sur les 5 années de Nicolas Sarkozy est supérieur à 5% du PIB par an. Nous allons retrouver le niveau de 4.5%, et c’est un échec national. Et cependant vous voyez à quel point les choses étaient lancées depuis longtemps. La désindustrialisation c’est la même chose, les chiffres du commerce extérieur, la même chose…Depuis 2002, le commerce extérieur de la France décroche pour atteindre aujourd’hui environ 60 à 70 milliards de déficit chaque année, alors que l’Allemagne a 240 milliards d’excédents. Moins 70 pour nous, plus 240 pour l’Allemagne. Cette série a commencé depuis longtemps et ils n’ont pas su la mettre en pause. C’est la même chose pour le chômage, la perte de confiance dans les institutions ; c’est la même chose hélas pour l’augmentation des impôts. Le Parti socialiste a fait de l’augmentation des impôts son entrave, persuadé que c’est ainsi qu’on retrouverait l’équilibre. Il s’aperçoit que l’on en est très loin : 30 milliards d’augmentation d’impôts au moment de l’alternance et 30 milliards d’augmentation d’impôts avant l’alternance. Les chiffres sont hélas les mêmes ! La faute de François Hollande c’est d’avoir rusé avec la vérité, avant son élection, avec un programme dont il ne pouvait pas ignorer, pour l’avoir analysé lui-même et pour l’avoir combattu lui-même dans un certain nombre de chapitres au moment des primaires du PS, qu’il était mensonger. D’avoir esquivé après, parce qu’il ne pouvait pas ignorer – j’ai eu des confrontations avec lui sur ce sujet en privé et en public – que le changement de cap allait lui être imposé par la réalité. Le courage consistait à le dire assez tôt pour qu’il puisse apporter des effets. A force d’avoir rusé, en français on dirait avec un mot directement issu du latin, « procrastiné», il a plongé le pays dont il avait la charge dans la situation désespérante qui est la sienne aujourd’hui. Là, hélas, vous avez échoué François Hollande !
La vérité est, et nous ne l’oublierons jamais, la clé de toute politique de réformes. Il n’y aura plus dans l’avenir de gouvernement possible ni pour les illusions ni pour les mensonges, parce que l’on ne peut pas imposer un effort à un peuple si l’on n’a pas noué avec lui un contrat fondé sur la réalité de sa situation et la vérité sur les objectifs de rénovation qu’on lui demande. Des illusions et des mensonges, il y en a beaucoup dans la vie politique française. Je suis frappé de voir que face à l’extrême-droite, les responsables politiques sont devant Marine Le Pen comme les lapins pris dans les phares d’une voiture, comme dans un état cataleptique. Moi je vous propose d’échapper à cette malédiction cataleptique en disant les choses comme elles doivent être dites. Aujourd’hui l’extrême-droite et l’extrême-gauche défendent au mot près la même politique économique. Je ne dis pas qu’ils sont d’accord sur tout. Je sais très bien ce que les uns disent sur l’immigration, sur cette manière de chercher à faire flamber les antagonismes et les haines entre Français, entre tous les habitants de notre pays quelles que soient leurs origines.
Mais sur le fond de la politique économique, sur ses trois grands chapitres : sortir de l’Union européenne ; sortir de l’euro ; recourir à nouveau aux facilités de la dévaluation et des subventions publiques et des allocations de toute nature, aux augmentations de tout ce qui fait plaisir, et aux diminutions de l’effort, il y a convergence. J’en ai eu une confirmation lors du débat que nous avons eu jeudi sur France 2 à l’émission « Des paroles et des actes » : Marine Le Pen et ce qu’il y a de plus à gauche dans le monde politique français défendent exactement la même politique, ce qui m’a amené à dire à Pierre Laurent sur le plateau : « Mais ne l’interrompez pas, elle défend la même politique que la vôtre ». Or, cette politique-là, la fermeture des frontières, la dépense publique et le retour au franc, la politique de la dette et la politique du déficit, et la dévaluation ressentie comme un bienfait, c’est une politique mortelle pour notre pays. C’est du mensonge et de la folie !
Ce que nous avons combattu quand c’était à dose faible dans le programme des uns ou des autres nous n’allons pas l’accepter ni être paralysés demain. Ces poisons sont la contestation de toute la démocratie française. Nous sommes clairement, volontairement, déterminés à défendre la vérité qui seule peut nous permettre de reconstruire notre pays, à écarter les illusions, les mensonges, les haines qui ne peuvent que nous conduire au drame national le plus grave que nous ayons rencontré depuis de très longues années.
Nous avons organisé nos Universités de rentrée sous le thème de « Reconstruire ». Reconstruire la France, la démocratie, notre pays, nos institutions parce que nous pensons qu’il existe en effet une autre politique, pas celle qu’on nous propose sous ce vocable, pas la politique de la facilité, mais une politique au contraire beaucoup plus fondamentale, qui ne se limite pas à programmer des coupes et encore des coupes même si elles sont nécessaires dans la dépense publique. Je crois à une politique qui ne se contente pas de couper mais qui recoupe, répare, corrige, reconstruit, et qui vivifie les piliers de la société dans laquelle nous vivons. Ce n’est pas seulement que notre pays dépense trop, c’est un problème, quand on vit au-dessus des équilibres entre ce que l’on dépense et ce que l’on prélève. Ce n’est pas seulement cela, c’est aussi qu’il dépense trop pour agir mal, et qu’en agissant mal, il est incapable de faire une société solidaire et en particulier de produire assez pour financer la solidarité dont il a besoin.
Je voudrais vous rendre attentif à ce chiffre, au classement du produit intérieur brut – je rappelle que c’est la somme de tout ce que, dans une année, on produit comme services, produits matériels, échanges dans une société comme la nôtre – : lorsqu’il s’agit du PIB par pays, notre pays est très haut placé dans le classement, nous sommes 4e de tous les pays européens. Mais si vous prenez un autre classement, le PIB divisé par le nombre des habitants, alors, à ce moment-là, on a une très mauvaise surprise de découvrir que dans notre pays, le PIB par habitant nous met au 12e rang. Et nous ne cessons de descendre depuis des années parce que nous sommes bloqués dans l’épanouissement de notre capacité à produire, à concevoir, à inventer, à innover, et cela se fait sentir. C’est ce que Robert Rochefort ne cessait de répéter aux politiques, dans ses anciennes responsabilités, au CREDOC. Quand vous avez un produit intérieur brut qui augmente de 0.5 par an, et que le nombre de foyers augmente lui de 1% par an, alors cela veut dire que les moyens, le niveau de vie de chacun des foyers français a baissé en termes réels dans l’année qui vient de s’écouler. Cet indice-là de la paralysie française, ce qui s’appelle l’appauvrissement français, il faut que nous le regardions pour en tirer des conclusions. Beaucoup parmi vous ont dit – ils m’ont même écrit des petits mots : « Oui mais dites-nous ce qu’il faut faire » ; « Si demain vous aviez le pouvoir, quelles seraient vos premières décisions ? Dans quoi vous engageriez-vous ? « Et ne nous dites pas : il faut, y a qu’à, il convient de. Dites-nous ce qu’il faut faire clairement ». Et bien je vais vous dire ce que, à mon avis, il faut faire clairement. Pour reconstruire la France, une maison, il faut reconstruire les piliers de la maison, pour leur rendre leur force, leur puissance, leur capacité de soutien de la maison et il y en a beaucoup de ces piliers. Je vais aller très vite en énonçant seulement les quelques pistes qui me paraissent nécessaires.
Premièrement, dans cette reconstruction, dans ce chemin de reconquête, le premier objet de reconquête, c’est l’Etat. Il faut reconquérir le domaine de l’action publique nationale et locale qui est aujourd’hui dans un affaiblissement continu, une asthénie comme diraient les médecins, une absence de volonté, d’énergie, qui sont tout à fait inédites dans un pays dont l’Etat a été le pilier central. L’Etat c’était la France, c’est l’Etat qui a fait la France. Nous avions, citoyens, tous les jours recours à l’Etat qui soutenait la tranquillité, le vivre ensemble des Français, et peu à peu l’Etat s’est retrouvé enserré dans deux pièges énormes. Le premier c’est la complexification perpétuelle, incompréhensible pour le commun des citoyens. Le deuxième est la prolifération de règles et de normes qui paralyse l’action publique à tous les niveaux. François Haab, nouveau conseiller de Paris, grand médecin, m’écrit tous les jours sur cette espèce de paralysie dans le monde de la santé, notamment l’administration des hôpitaux. C’est vrai dans ce domaine, là, mais c’est vrai dans tous les autres, l’Etat ne répond plus. Au lieu d’être soutien, il est devenu bloquant et autobloquant. Il bloque l’action des animateurs de la société, créateurs, chercheurs. Imaginez les cataractes de paperasse auxquelles les chercheurs français sont désormais soumis dans leur travail. Ils ont le sentiment que pour un certain nombre d’entre eux – c’est le cas aussi des universités – ils ne peuvent plus agir parce qu’ils épuisent leur énergie à rendre compte de leur action. Il est donc vain de poser la question du coût de l’action publique si l’on ne pose pas d’abord la question de son organisation, la question de l’initiative et de la simplification à l’intérieur des services de l’Etat, la question de la réforme et de la simplification des normes et de l’instauration d’un devoir de souplesse dans leur utilisation.
Parmi les échecs qui resteront au débit de ce gouvernement, parmi les promesses non-tenues, que l’on fait semblant de tenir mais qu’en réalité on trahit, il y a celle, attendue et trahie, de la nouvelle architecture des collectivités locales. Cela nous plonge dans une colère d’inspiration profonde et irréductible. On nous a annoncé – et nous avons applaudi, nous avons soutenu cette idée sous tous les gouvernements successifs – que le labyrinthe qu’on avait créé dans les collectivités locales rendait impossible la lisibilité de l’action publique pour les citoyens. Et j’ai, le premier, depuis très longtemps, proposé que l’on fusionne les départements et les régions, que l’on aille vers un rapprochement, donc une seule administration avec des élus venant du terrain, capables de gérer en même temps le local, qui est une proximité, et le régional qui est stratégique quand les positions divergent au sujet de l’aménagement du territoire. C’est le projet que nous avons défendu ensemble depuis 2002, auquel peu à peu, les citoyens les gouvernants, ont semblé se rallier. Et puis le gouvernement a dit : « Au moins nous, nous irons au bout de cette question ». Et ils ont annoncé que l’on allait faire la réforme des conseils généraux pour partager les prérogatives des conseils généraux entre les collectivités de premier rang que sont les intercommunalités, communauté de communes et d’agglomération, et la région pour le côté stratégique. On est parti de là, et nous avons approuvé cette orientation. Et que s’est-il passé ? On est entré dans des débats byzantins, marqués au point de la stupidité administrative et de l’incompréhension politique, qui nous amène à la situation suivante : premièrement le découpage régional que l’on nous propose est un découpage qui nie l’idée même de région. Nous sommes des décentralisateurs, qu’est-ce que cela veut dire décentralisateur ? Cela veut dire que nous pensons qu’un certain nombre de décisions, d’orientations pour l’avenir d’un territoire, doivent être délibérées au plus près des citoyens, et encore faut-il qu’entre ces citoyens il y ait une unité, une identité, qu’ils se reconnaissent membres du même ensemble, et qu’ils aient la même tradition culturelle, les mêmes modes de vie. Si vous faites exploser la nécessaire identité des régions, comme c’est aujourd’hui le projet, il n’y a plus de volonté politique possible.
[…] suite du texte dans quelques instants
Poster un commentaire